Interview du secrétaire général du MAJ

Journal du Jura du 24 novembre 2023

Jura bernois : La fin annoncée de la Question jurassienne, matérialisée ce vendredi par la signature du Concordat sur le transfert de Moutier, n'ébranle pas Pierre-André Comte, secrétaire général du Mouvement autonomiste jurassien.

Par Laurent Kleisl

L'histoire est en marche. Ce vendredi, à 9h30 à la Sociét'halle, les Cantons de Berne et du Jura, par l'entremise de leur conseiller d'Etat respectif, Pierre Alain Schnegg et Nathalie Barthoulot, signeront en grande pompe le Concordat sur le transfert de Moutier, mettant ainsi un terme final à la Question jurassienne. Jusqu'ici, tout va bien. Cet augure, Pierre-André Comte (68 ans) ne l'accepte qu'à demi-mot. Un «oui», accompagné d'un très gros «mais». Alors que les tensions politiques et institutionnelles s'estompent dans le Jura bernois, une prise de température auprès du secrétaire général du Mouvement autonomiste jurassien (MAJ) semble nécessaire. [apaisement est peut-être dans le ton, pas dans le fond.

Pierre-André Comte, dix ans jour pour jour après la consultation du 24 novembre 2013, les Cantons du Jura et de Berne paraphent le Concordat scellant le transfert de Moutier. Que signifie cette signature à vos yeux?

Elle met un terme à un processus qui devait donner satisfaction à la majorité autonomiste de Moutier. Elle est également le point final d'une défaite politique du Jura méridional. Le 24 novembre 2013, malgré le verdict électoral, marque un important revers du clan antiséparatiste et de la majorité politique du Sud. Se priver d'une réflexion commune avec les Jurassiens du Nord, c'était une erreur monumentale. Aujourd'hui, le Jura Sud se cherche une identité. Il aurait pu la trouver ailleurs, dans cette réflexion commune.

Le 24 novembre 2013, plus de 70% de la population du Jura bernois a répondu non au lancement du «processus tendant à la création d'un nouveau canton». Ne respectez-vous pas cette volonté populaire?

Je respecte totalement la décision de la majorité du Sud. Mais je regrette qu'elle ait été prise sous l'influence de politiciens antiséparatistes qui n'ont qu'une obsession: prendre une revanche sur les autonomistes.

Les autonomistes n'ont également qu'une obsession...

Oui, la reconstitution de l'unité du Jura. On est d'accord, à chacun ses obsessions, sauf que notre position est plus pragmatique que celle de nos adversaires dans la mesure où on estime que le Jura méridional serait bien plus fort allié au Nord.

Pour les deux Cantons concernés, ainsi que pour le Conseil fédéral, le transfert de Moutier signifie la fin de la Question jurassienne. L'acceptez-vous?

Oui, mais je regrette que les autorités cantonales et même fédérales oublient toujours le bout de la phrase.

C'est-à-dire?

La Question jurassienne est terminée institutionnellement au sens des accords intercantonaux passés, c'est la fin du cycle lancé le 25 mars 1994. Il y a eu des accords, qui ont abouti à la Déclaration d'intention de 2012, qui aboutissent aujourd'hui au transfert de Moutier. C'est terminé, je le conçois très bien. Mais pour le Mouvement autonomiste jurassien, c'est une fin virtuelle, car la Question jurassienne n'est pas réglée. Il reste, par exemple, une petite commune qui souhaite réaliser ses vœux démocratiques. Je suis représentant d'un Mouvement dont le but est de soustraire le Jura méridional à la juridiction bernoise pour des raisons politiques, historiques, culturelles, linguistique et d'identité.

La fin de la Question jurassienne est pourtant une idée bien établie!

Les autorités jurassiennes ont leur point de vue et, de toute façon, elles ne peuvent pas vraiment dire autre chose. Ces autorités conservent une grande responsabilité morale dans le fait que les relations entre le Nord et le Sud doivent être maintenues, développées et sérieusement entretenues durant les années qui viennent. Personne ne peut s'élever contre cette exigence, qui n'est pas une agression de l'Etat jurassien.

La majorité de la population du Jura bernois ne veut pas entendre parler d'un canton avec le Jura. On se répète, mais c'est un fait.

La réunification ne peut plus être, pour le MAJ, l'objectif formulé publiquement tel qu'il l'était jusqu'ici à l'égard de la population du Sud. On sait très bien que notre engagement doit évoluer en raison de la situation politique et de la volonté de la population. On doit en tenir compte. Ce qui nous intéresse, dans la poursuite de la Question jurassienne - entre guillemets -, c'est qu'on se sent solidaire de la population, notamment du tiers de celle-ci qui pense comme nous.

Et de près de la moitié de la population non-séparatiste de Moutier?

Je ne vois pas pourquoi la population probernoise de Moutier ne serait pas prise en compte. Il faut respecter son choix et faire en sorte qu'elle puisse intégrer le canton du Jura de manière harmonieuse et dynamique, et ce sera le cas! Nous allons d'abord procéder par une élection ouverte et libre à Moutier lorsqu'il s'agira de nommé les sept députés qui siégeront au Parlement jurassien (réd: fin 2025). Je souhaite que l'UDC prenne part à cette élection, où elle peut très bien se retrouver avec un ou deux élus. Ensuite, les responsables politiques probernois participeront à notre vie commune dans le canton du Jura. Nous avons tout intérêt à ce que cela se passe bien afin de montrer à la Couronne de Moutier que rejoindre le canton du Jura, ce n'est pas se placer sous la coupe de Delémont et sombrer en enfer, comme le disent certains.

Pour aller de l'avant, le temps n'est-il pas venu d'enfin passer à autre chose?

Mais le cas de Belprahon, c'est du présent! On ne peut passer comme ça outre le droit de ces gens qui n'ont pas pu se déterminer en toute connaissance de cause sur leur appartenance cantonale.

Et après Belprahon, qui y aura-t--il encore?

On ne pourra pas se faire l'économie d'une réflexion sur l'avenir des communes qui entourent Moutier. Ensuite, les prochaines générations pourront se demander si elles ne devraient pas réfléchir sur les avantages et les désavantages d'une situation aux confins du canton de Berne. Elles ne pourront pas faire abstraction du fait qu'elles auront tout intérêt à nouer les meilleures relations possibles avec Moutier et le canton du Jura. Et si cela se concrétise par une réflexion plus large sur l'avenir politique de la région, personne ne pourra l'empêcher.

On n'est pas encore sortie de l'auberge, en réalité...

Je ne vais pas demander au MAJ d'entreprendre des actions militantes à Grandval, à Eschert ou à Crémines. Ce qui m'intéresse, c'est que les relations entre Moutier et sa Couronne soient très actives. Ce qui m'intéresse, c'est le caractère français du Jura Sud, sa culture et son identité francophones, qui sont mis en péril dans le cadre élargi du canton de Berne germanophone.

Vous omettez qu'une nouvelle dynamique anime le Jura bernois depuis quelques mois. Que pensez-vous de l'appellation Grand Chasserai?

Si les Jurassiens du Sud s'organisent pour améliorer la situation de la population, tant mieux! L'appellation Grand Chassera) ressemble toutefois à une quête un peu artificielle d'identité dans la mesure où celle-ci consiste à vouloir absolument se débarrasser du mot «Jura».

Le terme «bernois» disparaît également. N'est-ce pas une bonne façon de s'affranchir du passé

J'en doute. Est-ce que cela changera le poids politique du Jura Sud? Est-ce que cela changera les mentalités? On verra bien. Toute évolution des mentalités qui permette au Jura méridional de conserver son identité francophone, je la vois d'un bon œil. Je dis seulement que Grand Chasserai est un concept mercatique, avant tout touristique. Je me bats pour le Jura Sud; je ne suis pas dans un office du tourisme, mais dans un mouvement politique.

Côté politique, Avenir Berne romande est un projet positif pour le Jura bernois, on est d'accord

Berne romande, ça ne veut pas dire grand-chose... Si la population du Sud y trouve son intérêt, tant mieux! Je n'ai pas à m'opposer à ce genre d'évolution, d'autant plus qu'elle devient obligatoire avec le départ de Moutier. Mais quand je lis dans Le Journal du Jura (réd: notre édition du 16 novembre) le dépit exprimé par Markus Gerber, maire de Saicourt, à propos de Bellelay, je m'interroge sur le sérieux de l'affaire. A ce sujet, il importe à mes yeux que le Gouvernement jurassien entre en contact avec Berne afin de trouver une solution adéquate pour Bellelay, la cité-cœur du Jura. Pourquoi ne ferait-on pas à nouveau et conjointement rayonner Bellelay en lui octroyant une mission de rassemblement et d'échanges?

A l'avenir, quel sera le rôle du Mouvement autonomiste jurassien?

Nous sommes en train de réviser nos statuts. Dans notre article premier, il est écrit que notre objectif est «d'affranchir le peuple jurassien de la domination bernoise». Ce but ne change pas, ce sont les moyens d'en promouvoir la perspective qui sont sur la table. Nous resterons préoccupés par l'avenir politique et institutionnel du Jura Sud. Nous estimons toujours que cet avenir serait meilleur dans un état réunifié. Mais on tient compte de la réalité politique et électorale d'aujourd'hui, on ne veut pas aller contre le peuple. Nous sommes là pour nourrir la réflexion et mettre le doigt sur ce qui ne fonctionne pas dans le Jura méridional. Personne ne peut interdire aux autonomistes du Sud de réfléchir à une éventuelle réorganisation de la région dans un cadre confédéral apaisé, qui pourrait être celui d'un Etat qui «recouvre» les deux régions aujourd'hui dans leur canton respectif. Personne ne peut décréter que tout est fini. Seuls le temps et la démocratie détiennent la clé.


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